"Nous ne renouvelons pas l’autorisation pour le glyphosate", a tranché net Marisol Touraine pour la France ce mercredi matin sur France Info. Sauf que le débat sur cet herbicide est plus complexe et coince au niveau européen.

"Indépendamment des débats sur le caractère cancérigène ou non du glyphosate, les études dont nous disposons montrent que c’est un perturbateur endocrinien. D’autres études sont attendues pour 2017. En attendant, nous ne renouvelons pas l’autorisation pour le glyphosate." Marisol Touraine a tranché ce mercredi matin sur France Info. Cet herbicide polémique n’a plus droit de cité dans les champs et les jardins français.

En laissant de côté le débat sur le caractère cancérigène ou non de cette substance utilisée dans des pesticides comme le Round Up de Monsanto, la ministre de la Santé oublie que les données reconnues scientifiquement manquent encore pour qualifier le glyphosate de perturbateur endocrinien. Mais elle affirme la volonté de la France de se détacher de l’issue du débat en cours au niveau européen, sur fond de désaccord des scientifiques et d’intense lobbying de parties adverses.

L’UE coince depuis des mois à ce sujet. Elle doit se prononcer avant jeudi sur le renouvellement jusqu’en 2031 de l’autorisation de commercialisation du glyphosate, qui expire fin juin. Evaluer la toxicité de cette substance est pourtant capital, puisqu’elle est présente à des taux souvent très élevés dans notre urine.

Bien que cet échantillon ne soit pas représentatif, une cinquantaine d’eurodéputés, surtout français et belges, ont joué les cobayes la semaine dernière pour le démontrer, raconte Le Monde.

Cancérigène ou pas, finalement ?

Cet herbicide polémique est le plus utilisé du monde, par les particuliers comme par les agriculteurs qui apprécient son efficacité et son caractère économique par rapport à d’autres produits. Souvent associé à la marque Round Up de Monsanto, il représente 40% du chiffre d’affaires de la firme. Mais le brevet datant des années 1970 est tombé dans le domaine public en 2000, généralisant son usage dans les produits de désherbage. Star des jardineries dans les années 1990, il a depuis fait l’objet de multiples études contradictoires.

En juin 2015, Ségolène Royal, ministre de l’Environnement, souhaitait d’ailleurs interdire sa vente en libre-service en s’appuyant sur le classement du glyphosate parmi les substances cancérigènes par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Cette substance a plus exactement été qualifiée de "cancérogène probable pour l’humain" (groupe 2A) par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l’OMS en mars 2015.

Mais une autre étude de l’OMS et de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), publiée en début de semaine, soutient qu’il est "peu probable que le glyphosate provoque un risque cancérogène chez les humains qui y seraient exposés par l’alimentation". Monsanto s’est logiquement réjoui de cette conclusion. Cette étude va dans le même sens que le rapport de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) : en novembre 2015, il concluait à l’absence de danger pour l’homme, dans les conditions actuelles d’usage et d’exposition.

Depuis ces prises de position irréconciliables, le CIRC et l’EFSA sont en si mauvais termes qu’une rencontre scientifique prévue en février dernier a été annulée, d’après le Journal de l’Environnement. Quant à l’OMS, elle tente de faire le grand écart, en assurant que l’étude du CIRC portait sur un risque "probable" pour la santé humaine en cas de très forte exposition, tandis que celle de la FAO s’est penchée sur les risques spécifiques liés à une exposition par l’ingestion de quantités limitées de glyphosate.

Conflits d’intérêts et scientifiques anonymes ?

Les ONG environnementales, elles, pointent l’irrégularité ou le manque de sérieux des études les moins sévères à l’égard du glyphosate, dénonçant des conflits d’intérêts. Les scientifiques à la tête du panel conjoint OMS-FAO font aussi partie des dirigeants de l’International Life Science Institute (ILSI) Europe, organisation de lobbying scientifique en partie financée par Monsanto et d’autres producteurs de glyphosate, selon des documents de l’organisation The US right to know, reprise par le Guardian.

L’indépendance de l’EFSA est aussi remise en question par une centaine de scientifiques indépendants qui réclament la publication des experts ayant participé à l’évaluation "anonyme" du glyphosate. "On a les noms que d’une toute petite fraction des scientifiques qui travaillent avec l’EFSA", a dénoncé l’un d’entre eux, le toxicologue Robert Bellé, ce mercredi sur France Info. Greenpeace a aussi estimé que ce rapport était nourri d’études commandées par les producteurs de glyphosate eux-mêmes qui n’ont jamais été rendues publiques.

"500 millions de personnes en danger" ?

L’ONG fait partie des 39 organisations qui adressent une lettre ouverte à l’UE pour que son "comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et des aliments pour animaux" ne prolonge pas l’autorisation du glyphosate. Elles appuient leur demande sur les études épidémiologiques montrant une corrélation entre l’exposition à ce produit et l’apparition accrue de certains cancers du système lymphatique. "En réautorisant le glyphosate, l’Europe mettrait en danger 500 millions de personnes face au risque de cancer", affirment-elles.

La décision européenne aurait dû être prise en mars dernier. Mais les législateurs européens avaient repoussé leur décision face au violent lobbying des parties adverses, alors qu’une pétition Avaaz anti-glyphosate recevait quelque 1,4 millions de signatures. En avril, le Parlement européen avait tenté de couper la poire en deux en demandant à la Commission européenne de ne renouveler l’autorisation que pour 7 ans au lieu de 15 ans. C’est à elle, en effet, que revient cette décision, si les experts nationaux du comité en charge de la question des pesticides au sein de l’UE ne trouvent pas de terrain d’entente cette semaine.

Source : Marie Simon, pour l’Express, le 18 mai 2016