"Regardez comme il est gros, et pas une trace d’insecte", s’exclame
fièrement, un épi en main, Mohamed Hilal, le chef agronome de l’immense ferme
Dina qui s’est lancée en pionnière dans la culture transgénique en Egypte.

De 40 hectares cette année, il assure que l’an prochain, ce seront 200
hectares qui seront ensemencés avec ce maïs dénommé ici "YG Ajeeb", le bizarre
en arabe, une variété de la firme américaine Monsanto.
Presque en catimini, sans vrai débat, ni tenir compte de l’opposition des
écologistes et des doutes d’universitaires, le gouvernement égyptien a donné
avant l’été son feu vert aux OGM.

"Les Egyptiens en tireront-ils profit économiquement ? La réponse est
simple, c’est oui", affirme Ahmed Bahieldin, directeur de recherche de
génétique agricole au ministère de l’agriculture (AGERI).
Pour lui, "l’Egypte n’a pas à se soucier des choix de l’Europe pour des
raisons politiques ou non". L’Union européenne ne donne plus d’autorisation de
culture d’OGM, mais accepte, au cas par cas, leur vente lorsqu’ils sont
importés.

"On a fait un test sur une parcelle, un pied de la variété égyptienne
Chams, un autre de l’hybride Golden West et le troisième d’Ajeeb : les insectes
se sont rués sur les deux premiers, et ont épargné Ageeb", dit Hilal.
Génétiquement modifié pour résister aux parasites, dont la pyrale, ce maïs
est le croisement d’une variété égyptienne et du YieldGard Bt de Monsanto (MON
810), dont la culture est suspendue dans quatre pays européens.
A cet argument "anti-nuisibles", l’ingénieur agronome ajoute celui de la
rentabilité.
Commercialisé en Egypte par la société Fine Seeds, l’Ajeeb YG coûte 50O
livres (62 euros) les 10 kg de semences par feddan (4.000 m2), contre 450
livres (55 euros) pour Golden West et 220 livres (27 euros) pour Chams.
Si on ajoute 200 livres (25 euros) d’insecticides par feddan, sauf pour
l’Ageeb, le coût des non OGM reste inférieur pour la variété égyptienne mais
supérieur pour l’autre pour une productivité inférieure.

A en croire Hilal, Ageeb produira près de 4 tonnes de maïs par feddan,
contre 2 pour GW et un peu plus de 3 pour Chams. Mais il avoue n’avoir aucune
idée sur son éventuel danger. "C’est vrai, ce qu’on dit là-dessus ?",
interroge-t-il.
Dans la ferme Dina, qui s’étale sur 4.000 hectares gagnés sur le désert, le
"silo" transgénique se remplit en bordure d’autres plantations. Et les
premières servies en Ajeeb seront les 4.000 vaches de l’exploitation "modèle".

Si le maïs n’est pas destiné à l’alimentation humaine, le lait des vaches,
et leur viande, la farine et autres produits dérivés du maïs, pourront être
consommés par les hommes.
"Voilà un des problèmes, cette chaîne aux conséquences inconnues en termes
de sécurité alimentaire, faute de recul scientifique", affirme Hassan Abou
Bakr, professeur de biologie à l’Université du Caire.
Pour ce scientifique favorable à la culture biologique, le débat a tourné
court en Egypte. "Il y a une sorte d’euphorie sur le thème : on peut le faire,

alors faisons-le ! Et il n’y a pas de réflexion scientifique ou éthique".
Avant les OGM, rappelle-t-il, l’argument productiviste avait déjà été
utilisé dans le passé en faveur de l’usage des pesticides et des engrais
chimiques. "On en mesure aujourd’hui les terribles effets".
Et, selon lui, l’agriculteur sera encore plus lié aux multinationales
semencières, les grains récoltés étant infertiles. "La terre peut fournir les
besoins des hommes, pas satisfaire à leur cupidité", dit-il, en citant Gandhi.