En Mars 2008, le prix Nobel alternatif de la paix, Martin Almada, écrivait une lettre ouverte au président paraguayen pour dénoncer les abus des firmes semencières et agrochimiques au Paraguay. Il y dénonce notamment l’impunité d’un crime écologique qui a plus de dix ans et qui reste à ce jour impuni. En 1998, la compagnie semencière Delta & Pine Lands, filiale de Monsanto, s’est débarrassée illégalement de 660 tonnes de graines de coton contaminées par des pesticides, en les faisant enfouir aux abords d’un village, Rincon I, à 120km de Asunción. Cette décharge illégale a entraîné l’empoisonnement de tout un village et la mort d’un habitant. Retour sur les faits.

L’entreprise Delta & Pine Lands était implantée au Paraguay comme semencier, mais elle expérimentait aussi dans la région sept variétés de coton transgéniques en champs ouvert depuis 1995. Cependant il n’est pas connu des autorités si des semences transgéniques faisaient parties des lots contaminés déchargés illégalement. Delta & Pine est connue pour avoir inventé le gène ultracontroversé dit « terminator » qui stérilise les graines afin d’empêcher les paysans de les replanter. C’est précisément pour obtenir cette technologie de stérilisation, protégée par un brevet, que Monsanto a tenté d’acquérir la firme dès 1998, chose faite en 2006. Le gène « terminator » a soulevé une telle polémique internationale que son utilisation a été bannie par l’ONU , même si cela n’empêche pas Monsanto de chercher une nouvelle application à cette technologie destructrice.(plus d’info ici)

Le scandale éclate en 1998 quand la firme Delta & Pine Land est accusée d’avoir déchargé dans la nature près du village de Rincon I, plus de 30.000 sacs de graines de coton (660 tonnes), déclarés comme « surplus », mais qui se sont révélés en réalité contaminés par des produits chimiques hautement toxiques. Dans cette affaire plutot opaque, il n’a toujours pas été clarifié par les autorités paraguayennes pourquoi elles ont autorisé en 1997 l’importation de 85.000 sacs de graines de coton, une quantité suffisante pour cultiver 170.000 hectares, ce qui excède largement la production nationale à l’époque…

Malheureusement, ces soi-disant « surplus » dissimulaient des semences empoisonnées. Les graines de coton enfuies étaient enrobées dans un cocktail chimique d’agro-toxine, qui incluait de l’Orthene (organophosphate), du benlate, du lorsban, du metalaxyl, baytan
qui contient le Bacillus subtilis A-13, une bactérie génétiquement modifiée [1]
. Plusieurs de ces molécules sont reconnues par les fabricants comme pouvant, à haute dose, entraîner des cancers mais aussi des troubles reproductifs et mutagènes d’après des tests en laboratoire sur des rats. Il n’est pas inusuel pour des graines de coton « high-tech » d’être enrobées dans ce genre de préparation chimique de fongicides pour les protéger des parasites. Cependant, dans le cas de la tragédie de Rincon I, c’est la quantité massive de semences déversée sur une faible surface (1,5 hectare) qui a entraîné la concentration de toutes ces molécules toxiques qui se sont vaporisées dans l’air et infiltrées dans les nappes phréatiques. Après la première pluie, la population s’est mise à souffrir de syndromes d’empoisonnement aux pesticides comme des vertiges, des nausées, des troubles neurologiques, des pertes de mémoire, des insomnies et des éruptions cutanées. Un homme de trente ans, père de cinq enfant, a succombé des complications de son empoisonnement.

Des tests médicaux ont été réalisés sur la population de Rincon I et prouvent de façon irréfutable que ces personnes ont bien été empoisonnées par les pesticides ; mais alors que le Ministère de l’Agriculture, de la Santé et le Président ont eu accès à ces tests, ils continuent de nier et refusent d’agir pour appliquer la justice et dédommager les victimes.
En Mars 2008, le prix Nobel alternatif de la paix, le paraguayen Martin Almada a remis une lettre ouverte au Président de son pays, Nicanor Duarte Frutos pour réclamer la relance de l’enquête et pour dénoncer l’immobilisme de la justice sur ce dossier.

D’après le tribunal en charge de l’affaire, Delta & Pine a reconnu sa responsabilité pour le déchargement clandestin mais refuse de reconnaître la toxicité des semences, car cela impliquerait une reclassification des semences comme étant des « déchets industriels » et le cas deviendrait pour la justice un « crime contre l’environnement ». La firme a refusé de prendre en charge la décontamination du site, en préférant payer des « compensations financières » qui n’ont toujours pas été versées dix ans après les faits.

Comme le rappelait à l’époque Miguel Lovera, des Amis de la Terre Paraguay : "L’ironie de cette tragédie est que l’industrie biotechnologique nous promettait de prendre soin de l’environnement et de nourrir les populations affamées. Au lieu de cela, ils utilisent mon pays comme une décharge pour leurs graines high-tech et leurs produits chimiques mortels qui contaminent les communautés rurales et mettent en danger des vies. » [2]
Il est inadmissible que des compagnies industrielles du Nord continuent d’utiliser des pays du Sud comme des décharges à ciel ouvert. Les « crimes contre l’environnement » et le trafic international de déchets dangereux, en violation de la Convention de Bâle , sont une réalité trop souvent occultée mais qui représentent un immense marché clandestin profitant aux entreprises sans scrupules et aux « écomafias ».





[1Pesticide Disaster in Paraguay, June 21, 1999, Pesticides Action Network

[2Pesticide Disaster in Paraguay, June 21, 1999, Pesticides Action Network