Le Forum au coeur de l’agrobusiness

Le lieu était parfait. Rosario, le coeur de la “pampa humeda”. Le coeur de l’agrobusiness où le soja transgénique à délogé, ces dix dernières années en Argentine, des milliers de familles paysannes et indigènes qui n’ont eu comme unique destination les bidonvilles des grands centres urbains du pays.

Effectivement selon un rapport du Movimiento de Campesinos de Santiago del Estero (Mocase) en 1997 on cultivait dans le pays 11 millions de tonnes de soja transgéniques sur 6 millions d’hectares, dix ans plus tard, les chiffres sont passés à 47 millions de tonnes sur 16,6 millions d’hectares. Et ici on ne consomme pas le soja, il est exporté pour alimenter les animaux de Chine et d’Europe et pour produire des agrocombustibles. “L’unique objectif des transgéniques est le contrôle de l’agriculture et pas de résoudre le problème de la faim dans le monde. Ceci est clair quand on voit que le soja en Argentine ne nourrit personne” expliquait Carlos Vicente de l’ONG GRAIN durant un atelier de travail.

Ici, en Argentine, 4 personnes seulement suffisent pour travailler 1000 hectares de soja pendant que les multinationales de l’agrobusiness (exportatrices et fournisseuses de facteurs de production) s’enrichissent honteusement, comme c’est le cas de Monsanto, Dupont ou Cargill entre autres. Chaque année en Argentine ce sont 200 millions de litres de glifosato (herbicide, propriété de Monsanto) et autres agrotoxiques qui polluent fortement la terre et ses enfants : eux, moi, nous. Cet agrotoxique a été dénoncé de nombreuses fois par les mouvements et organisations sociales pour causer des malformations et des cancers.

Quand Carlos Vicente de GRAIN fait un bilan des effets du modèle de monoculture dans le pays il soutient “qu’ils sont très clairs : déplacement des paysans, pollution par fumigation, contrôle corporatiste étant donné que les semences sont la propriété des entreprises, concentration de la terre (affermant la terre aux pools de semis), perte de notre culture et nos aliments, de nos semences. »

C’est ici, dans la ville de Rosario, le coeur de ce “modèle” agricole que les délégués-ées des Organisations Paysannes, Indigènes, de Femmes, de Sans-Terre, de petits agriculteurs de la Via Campesina Amérique du Sud ont convoqué les mouvements sociaux, les collectifs et les organisations affiliés à la Via Campesina, durant le 10 et 11 août au Forum ouvert “Contre le pillage et la pollution, pour la souveraineté alimentaire”.

Ils sont venus des 4 coins du continent

Les activités ont permis d’échanger, de débattre et de réfléchir sur un thème crucial pour un futur solidaire et durable du peuple paysan du continent. Et environ 1000 personnes ont répondu à à l’appel. Ils sont venus du Brésil (MST, MPA, MAB), du Paraguay (MCP, MCNOC, CONAMURI), du Vénézuela (Frente nacional Ezequiel Zamora, CANEZ, IALA), de Bolivie (Movimientos de Mujeres Bartolinas Sisas, MST), du Chili (RANQUIL, ANAMURI, Mujeres Campesinas Indígenas de Chile), de Colombie (FENSUAGRO, FENACOA), du Pérou (CNA, Central Campesina), de l’Equateur ( FENACLE, CNC, FENOCIN), de la République Domincaine, d’Haiti, du Honduras, du Mexique et bien sur d’Argentine au travers de Poriajhu- COCITRA et du MNCI (Movimiento Nacional Campesino Indígena). Toutes ces organisations appartiennent à la Via Campesina, un mouvement international de paysans et paysannes, petits et moyens producteurs, femmes rurales, indigènes, sans terre, jeunes ruraux et travailleurs agricole qui défend les valeurs et les intérêt basiques de ses membres. Le mouvement rassemble des organisations de 56 pays d’Afrique, d’Asie, d’Amérique et d’Europe.

Quelles ont été les activités ?

Le 8 et le 9 août, en guise d’ouverture au Forum, s’est déroulé le Séminaire International “Changements climatiques : impacts sur les femmes et la souveraineté alimentaire” duquel ont participé les membres de la CLOC (Coordinadora Latinoamericana de Organizaciones del Campo)afin de réfléchir sur les différentes luttes des femmes paysannes du continent [1]]. En parallèle, le samedi les paysans et paysannes déjà sur place ont pu partager leur vécu et leur expériences au travers de différentes activités et ateliers organisés dans différents quartiers de Rosario en lien avec des organisations locales comme Giros, Mercado Solidario, Surastilla, Taller ecologista et le Foro de Soberania alimentaria.

Quant au Forum Ouvert, il s’est déroulé le dimanche 10 et lundi 11 dans le Club Libertad. Différents panels et discussions plénières ont eu lieu autour de différentes thématiques : la crise alimentaire et ses impacts en Amérique Latine ; les monocultures et leur impact sur la diversité alimentaire des peuples d’Amérique Latine ; la situation des territoires en terme de biodiversité, d’eau, de forêts et de sols et le droit à l’alimentation et à la souveraineté alimentaire. De nombreux débats ont été ouverts durant lesquels les compañeros et compañeras ont pu s’enrichir, échanger et réfléchir construisant des réseaux et des moyens d’actions pour résister et construire un modèle de développement durable pour les peuples.

Le lundi midi, la rencontre multiculturelle et partisane a remplit de couleurs et de chansons les rues du centre de Rosario, au travers d’une manifestation. Le parcours s’est organisé autour de trois points stratégiques : La Bourse de Commerce, l’entreprise multinationale Cargill et enfin le Syndicat “Sociedad Rural” (organisation patronale de grand producteurs). « Ici à l’intérieur il y a les responsables de l’avancée du soja qui n’arrête pas d’expluser les petits producteurs de leurs terres. Ce sont les responsables du neolibéralisme qui nous condanne à la faim » criait Ángel Strapazón, dirigeant du Movimiento Campesino de Santiago del Estero (Mocase) devant les portes de la Bourse de Commerce.

 

Alerta ! Que camina la lucha campesina

 

Dans chaque discours, dans chaque lutte, dans chaque expérience de vie et avec beaucoup d’émotion tous les participants exprimaient la même chose : pourvoir vivre dignement de leur travail en développant une agriculture durable et une égalité basée sur la production à petite et moyenne échelle.

Ils réclament haut et fort le droit à la souveraineté alimentaire c’est à dire le droit des peuples et de leurs états à définir leurs politiques agricoles et alimentaires : que produire, comment le faire, comment échanger les biens produits ? Cette notion de souveraineté alimentaire est fondamentale et central dans la lutte de Via Campesina. Elle a été porté, pour la 1e fois, au débat public à l’occasion du Sommet Mondial de l’Alimentation en 1996. Elle promeut les productions locales pour alimenter le peuple, l’accès des paysans et des sans-terre à la terre, l’eau et les semences. C’est dans cet objectif que tous réclament des réformes agraires, la préservation de l’eau comme bien public et qu’ils luttent contre le transgénique (pour le libre accès aux semences).

Les discours condamnent fortement les politiques néolibérales qui donnent la priorité au commerce international et non à l‘alimentation des populations. A ce sujet Egidio Brunetto du Mouvement des Sans Terre (MST) [2] relève que “ la mécanisation de l’agriculture s’est étendue, les semences transgéniques, la formation d’une agroindustrie qui imposent un modèle de production qui a pour conséquence d’empêcher les paysans de produire leurs aliments. Avec le modèle actuel néolibéral, on est passé à produire des marchandises et non des aliments”. Un autre intégrant du MST souligne que ces politiques néolibérales n’ont en rien contribué à éradiquer la faim dans le monde, au au contraire, elles ont accru la dépendance des populations envers les importations agricoles. « Au Brésil on importe 90% du blé consommé. On devient tous dépendants de ce que font les transnationales », il ajoute qu’« il n’y a pas une crise d’aliments dans le phénomène de la crise alimentaire. Jamais il n’y a eu autant d’aliments. La crise est de surproduction, pas une crise de manque de nourriture. C’est une crise de modèle, du modèle capitaliste, le modèle néolibéral, dont les produits n’ont jamais été concentré dans les mains d’un nombre aussi petit d’entreprises. ». Par ailleurs, dans le monde entier, des importations agricoles à bas prix (dumping) détruisent les économies agricoles locales (comme c’est le cas en Haiti). Ce modèle de l’agrobusinness et les politiques néolibérales mettent en danger le patrimoine génétique, culturel et environnemental de la planète. Il met en danger la planète dans son essence la plus profonde. C’est dans ce contexte, que le mouvement Via Campesina travaille à une « concientisation » depuis le bas, entre les genres, les générations et les peuples, pour l’organisation de réseaux entre la ville et la campagne sur la base de la souveraineté alimentaire et d’un commerce équitable, pour la préservation de la culture, des droits et des savoirs ancestraux des peuples paysans du monde entier.

Marcelina, venue de Moquegua,une ville de province à 30 heure de Lima, la capitale péruvienne, m’a raconté sa lutte dans le cadre du mouvement Via Campesina. Ses yeux noirs et profonds pétillent d’espoir pendant qu’elle me dit “Nous sommes unis pour affronter avec un seul poing le néolibéralisme qui avance dans nos pays. Nous devons trouver les véritables coupables de la destruction de la nature, de l’environnement et de nos territoires. Nous devons trouver des stratégies pour nous défendre et continuer avec la lutte. Nous avons une grande tache, celle de faire pression sur nos gouvernements parce que nous ne voulons plus ni pillages, ni morts. Nous allons continuer à résister, hommes et femmes pour changer ce monde. Ensemble, ville et campagne, nous pouvons sortir vainqueur”.

Source : Via CampesinaProgramme echanges et partenariats, site des volontaires.