Les coups de boutoir des "faucheurs volontaires" et les ambiguïtés politiques ont fini par faire reculer Limagrain. Alors que la loi sur les OGM revient devant l’Assemblée, mardi 20 mai, et, jeudi, devant le Sénat, Limagrain, leader européen des semences de grandes cultures (blé, maïs, colza, tournesol), renonce, cette année, à faire des essais de maïs transgénique en plein champ en France.

"Pour travailler correctement, il nous faut avoir la conviction que nos essais ne seront pas détruits, que les autorisations arriveront en temps et en heure et que le cahier des charges sera acceptable, explique Daniel Chéron, directeur général de Limagrain, un groupe coopératif fondé par des agriculteurs du Puy-de-Dôme. Aujourd’hui, nous ne sommes pas en confiance."

Sur le papier, rien n’empêche Limagrain de poursuivre ses recherches. Biogemma, la société de biotechnologies végétales que le groupe détient à 55 %, dispose d’autorisations pluriannuelles. Elle aurait aussi pu en demander de nouvelles.

"Notre souhait est de ne pas arrêter la recherche, y compris la recherche en plein champ", insiste-t-on au cabinet du ministre de l’agriculture. Pour preuve, dans l’attente de la création du Haut-Conseil des biotechnologies, prévue par la loi sur les OGM, une commission temporaire a vu le jour, le 21 mars, afin d’examiner les demandes d’autorisations pour la campagne 2008. Elles seraient, selon le ministère, une dizaine.

Limagrain n’arrête toutefois pas ses recherches sur les OGM. "Nous avons pris des dispositions pour faire des essais en Israël et, surtout, aux Etats-Unis", explique Pascual Perez, directeur général de Biogemma. Il n’empêche. "La France et l’Europe prennent du retard dans le domaine des biotechnologies, regrette M. Chéron. Notre première variété de maïs OGM pourrait ne pas être au point avant cinq ans, et il faudra plusieurs années supplémentaires avant de bénéficier des autorisations nécessaires à la mise sur le marché."

RÉSISTANCE À LA SÉCHERESSE

La prééminence américaine en matière de biotechnologies semble fermement établie. La puissance de Monsanto tient, de fait, à sa technologie phare : la résistance au Roundup, un herbicide produit par la firme qui supprime les mauvaises herbes sans attaquer la plante transgénique.

"C’est devenu le standard de base en matière de semences", note M. Toppan, chargé du développement des OGM chez Limagrain. A cela s’ajoutent les maïs transgéniques résistants à la pyrale (le MON810, dont la culture commerciale vient d’être interdite en France) et à la chrysomèle.

Limagrain a pris des options de recherches différentes, portant sur la résistance à la sécheresse et l’amélioration des rendements, et n’envisage pas d’emprunter la même voie que Monsanto. Ce qui oblige aujourd’hui le semencier français à acheter des licences Monsanto pour se développer aux Etats-Unis. "Nos choix étaient logiques en fonction des connaissances du moment", justifie Alain Toppan.

Les difficultés de la recherche privée ne sont pas sans répercussions sur la recherche publique. "Quand il y a moins de partenaires privés, c’est toute la recherche qui souffre, note Alain Veil, conseiller au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). La France est en train de décrocher dans le domaine de l’innovation végétale."

Avec un risque supplémentaire : l’expertise française pourrait être prise en défaut quand il s’agira d’autoriser ou non les OGM américains qui s’impatientent aux frontières de l’Europe.

Source : Lemonde.fr du 20 Mai 2008, un article de Manuel Armand