a. Petit historique de la FDA

La Food and Drug Agency est née officiellement en 1930, mais une agence équivalente existait déjà depuis le début du XXe siècle sous l’autorité du Ministère de l’Agriculture (USDA). L’agence est en charge de l’autorisation de mise sur le marché des produits pharmaceutiques ou alimentaires destinés à la consommation humaine ou animale.

En 1938, le President Franklin Delano Roosevelt signe le Food Drug and Comestic Act, qui est le règlement de référence de l’agence et l’origine de son autonomisation vis-à-vis de l’USDA. L’agence fut fondée à la suite d’un drame national qui coûta la vie à une centaine de personnes après avoir avalé un « médicament » contenant un solvant très toxique. Ainsi le Food Drug and Comestic Act impose que tout produit contenant des substances nouvelles soit préalablement testé par les entreprises et soumis à une autorisation préalable de la FDA, avant sa mise sur le marché. En 1958, le texte a été complété par l’ « amendement Delaney » qui interdit l’homologation de tout produit présentant un risque cancérigène. Il est important de noter que l’agence ne réalise pas elle-même les études toxicologiques : elle se contente d’examiner les données scientifiques fournies par les producteurs. Son autorité est large et concerne tous les produits pharmaceutiques, vétérinaires, alimentaires, ou encore cosmétiques…

b. Liens existants entre Monsanto et la FDA

La FDA, malgré les avertissements de certains de ses experts scientifiques, comme le Dr Burroughs, ou encore les recommandations du Congrès, autorise le 5 novembre 1993 la mise sur le marché du Posilac, le nom commercial de la rBGH de Monsanto. La FDA, au cours des années 80 et 90, a changé ses objectifs afin de soutenir les firmes montantes de biotechnologie, dont Monsanto, et permettre à ce nouveau marché porteur de se développer sans entrave réglementaire, comme le souhaitaient les dirigeants politiques de l’époque M. Reagan et M. Bush.
Cependant, il faut bien comprendre que la rBGH est le produit le plus controversé jamais autorisé par la FDA, car ce produit n’a qu’une visée strictement économique visant en l’augmentation de la production, laquelle ne bénéficie ni aux clients ni aux animaux. Alors même que de nombreux doutes sanitaires pèsent sur le Posilac (pus dans le lait, résidus d’hormones et d’antibiotiques), la FDA aurait dû être des plus stricte afin de remplir sa mission de protection du consommateur. Au contraire, elle a modifié sa réglementation afin d’introduire le concept de « risque gérable » (« manageable risk ») d’après un document interne datant du 31 mars 1993 [1] . Alors même que selon le Food Drug and Comestic Act, aucun produit mis sur le marché ne devrait poser un risque pour la santé des consommateurs, les agents de la FDA ont changé la réglementation afin de l’adapter aux besoins des biotechnologies. Cela a été permis par la proximité de certains agents de la FDA avec Monsanto comme Margaret Miller et Michael Taylor, alternant des carrières entre le secteur privé, chez Monsanto, et le secteur public, à la FDA, selon le systèmes connus des « chaises musicales » (« Revolving Doors »).

Le réseau est assez vaste au sein de la FDA pour contrôler les différents échelons du processus décisionnel, allant des chercheurs jusqu’à des postes de supérieurs hiérarchiques, voier la direction de la FDA. Ainsi, l’une des chercheuses de la FDA en charge du Posilac est Susan Sechen, une ancienne étudiante et assistante du Pr Dale Bauman qui avait été payé par Monsanto pour tester l’hormone transgénique à l’université de Cornell.

La supérieure hiérarchique du Dr Sechen était Margaret Miller, qui a travaillé chez Monsanto de 1985 à 1989 en temps que chercheuse sur la rBGh, pour ensuite quitter la firme de St Louis et devenir « deputy director » du bureau sur les nouvelles drogues animales, un poste stratégique pour l’homologation de la rBGH. Elle est l’adjointe du docteur R. Livingston, le directeur du bureau de l’évaluation des nouveaux médicaments au Centre de Médecine Vétérinaire (CVM) de la FDA. Ces deux responsables vont prendre en charge le processus d’homologation du Posilac et forcer un consensus sur la rBGH en minimisant les voies dissidentes au sein de l’agence comme celle de Burroughs. Ainsi le 16 mars 1994, des agents de la CVM expriment leurs inquiétudes dans une lettre anonyme adressée à l’administrateur de la FDA, mais aussi à la Commission d’enquête du Congrès (GAO), dans laquelle on peut lire ces termes inquiétantes : « Nous avons peur de parler ouvertement à cause des représailles du directeur, le docteur Robert Livingston, qui harcèle toute personne exprimant une opinion opposée à la sienne, préviennent les whistleblowers. L’origine de notre inquiétude, c’est que le docteur Livingston a fait écrire au docteur Miller une réglementation sur l’usage des antibiotiques dans le lait. Celle-ci a fixé, de manière arbitraire et sans base scientifique, le taux de résidu permis à 1 ppm [partie par million], sans aucun test préalable pour la santé du consommateur. Ce taux serait valable pour un antibiotique. Mais une vache peut être traitée avec plusieurs antibiotiques et chacun d’entre eux serait donc autorisé à un taux de 1 ppm sans test supplémentaire. Les effets des différents antibiotiques peuvent s’ajouter, mais cela n’est pas pris en compte. » Cette lettre met en lumière ce que peuvent être les pressions mise en place par les "amis de Monsanto". Car en effet cette nouvelle réglementation arbitraire permet de résoudre l’un des problèmes majeurs posés par le Posilac, à savoir les résidus d’antibiotiques dans le lait.
Rappelons que l’organe d’investigation du Congrès, le GAO, s’était montré préoccupé par les résidus d’antibiotiques et avait demandé à la FDA que soient faites des études complémentaires, mais non seulement cela resta lettre morte mais plus encore, la FDA, à l’initiative de M. Miller, a revu sa réglementation pour permettre des taux d’antibiotique plus élevé dans le lait.

A la suite de ces événements, une nouvelle enquête a été ouverte par le GAO afin de déterminer s’il y avait eu un « conflit d’intérêts » entre Monsanto et trois de ses ex-employés, depuis à la FDA, à savoir Susan Sechen, Margaret Miller et Michael Taylor, l’éminence grise des juristes de la FDA…

Michael Taylor est un des personnages clés de la stratégie de Monsanto et un exemple vivant d’une carrière basée sur les « portes tournantes ». C’est un avocat qui a travaillé pour la FDA de 1976 à 1980, puis qui a rejoint en 1981 le cabinet d’avocat de King and Spalding d’Atlanta dont Monsanto est l’un des clients. Par le biais du cabinet, il travaillera notamment avec Monsanto en tant que consultant juridique sur les questions de réglementation en matière d’étiquetage, un point clé dans l’homologation de la rBGH comme nous allons le voir. Le 17 juillet 1991, il est nommé numéro deux de la FDA a un poste nouveau qui lui a été taillé sur mesure : administrateur adjoint, chargé de la politique de l’agence (Deputy Commissioner for Policy). Il y restera trois ans, le temps de superviser la rédaction des textes fondamentaux concernant la réglementation de la rBGH et au-delà des OGM. (Pour plus d’informations voir la fiche OGM). Il quitte la FDA en 1994 et devient quelques années plus tard le vice-président de Monsanto en poste à Washington et en charge de la communication extérieure (lobbying).

c. L’interdiction d’étiquetage des produits génétiquement modifiés, une nouvelle régulation de la FDA favorable à Monsanto.

Après autorisation de la FDA, la mise sur le marché effective du Posilac par Monsanto commence le 4 février 1994. Le 10 février 1994, le Federal Register publie un nouveau règlement, intitulé « Directive sur l’étiquetage volontaire du lait et des produits laitiers provenant de vaches qui n’ont pas été traitées avec la rBST » dont l’objectif est de « prévenir des informations fausses ou induisant en erreur au sujet de la rBST [2] ». De plus la FDA continue de soutenir la rBGH (ou rBST) en affirmant que : « L’agence a trouvé qu’il n’y avait pas de différence significative entre le lait provenant de vaches traitées et non traitées », et c’est pourquoi elle « n’a aucune autorité pour exiger l’étiquetage du lait provenant de vaches traitées à la rBST ». Dans les faits, cela se traduit par l’absence d’obligation de signaler l’utilisation du Posilac aux coopératives ou aux distributeurs de produits laitiers, ce qui signifie concrètement que le lait issu de la rBGH sera donc mélangé au lait naturel, sans aucune mention spéciale. Mais, au delà, cela s’accompagne d’une interdiction faites aux fournisseurs d’apposer une étiquette « sans rBST » sur leurs bouteilles de lait. L’argumentaire développé par la FDA ne manque pas de surprendre : « Étant donné que le lait contient naturellement de la BST, aucun lait ne peut être déclaré “sans BST” et donc un étiquetage indiquant “sans BST” serait erroné. De plus, la FDA considère que le terme “sans BST” « implique que le lait provenant de vaches non traitées est plus sain et de meilleure qualité que celui provenant de vaches traitées. Ce qui est faux et trompeur. »Cela inquiètent les producteurs de lait qui souhaitent continuer à produire un lait sans hormone, qui proposent un projet de label pour un "lait sans rBGH" qui sera rejeté par la FDA.

Certes, cette directive n’a pas valeur de loi et l’agence n’interdit pas formellement le label « sans rBST », mais elle suggère fortement qu’il soit accompagné d’une phrase censée « informer le consommateur », appelé « déclaration contextuelle » (contextual statement) : « La FDA n’a constaté aucune différence significative entre le lait dérivé de vaches traitées à la rBST et les vaches non traitées. »
Cette directive a été rédigée par Margaret Miller et signée par Richard Taylor pour l’approuver. Cette information a été révélée par les « lanceurs d’alerte de la CVM » dans leur lettre anonyme : « Nous nous inquiétons de la récente décision de la FDA de ne pas étiqueter le lait traité avec la BST. Or, cet avis a été rédigé par le docteur Margaret Miller[…]
Cependant, avant de venir à la FDA, le docteur Miller travaillait pour la compagnie Monsanto, comme une chercheuse sur la BST. Au moment où elle rédigeait l’avis de la FDA sur l’étiquetage, elle continuait de publier des articles avec des scientifiques de Monsanto sur la BST. Il nous semble que c’est un cas flagrant de conflit d’intérêt. Comme vous savez, si le lait est étiqueté comme provenant de vaches traitées avec la BST, les consommateurs ne l’achèteront pas et Monsanto perdra beaucoup d’argent. » Des propos assez clairs pour ne pas avoir à être commentés.
L’affaire rebondit encore lorsque l’on apprend que Michael Taylor a partiellement inspiré le contenu de la directive : il suffit pour s’en convaincre de lire attentivement un document confidentiel adressé le 28 avril 1993 à la FDA par le cabinet King et Spalding. On se souvient que Michael Taylor y avait officié pendant sept ans comme conseiller en food labelling pour Monsanto, c’est-à-dire l’étiquetage des aliments, notamment d’origine transgénique. La missive transmise par le cabinet d’avocats, intitulée « L’étiquetage du lait et des aliments provenant de vaches laitières traitées avec la somatotropine serait illégal et imprudent », aurait été « soumise à la demande de Monsanto à la FDA ». Ce mémorandum, au titre menaçant, développe une partie de l’argumentaire que l’on retrouvera dans la fameuse directive, notamment sur l’absence de « différences significatives » entre le lait avec ou sans rBGH. Pour faire un lien avec les produits issus de l’agriculture transgénique, il faut souligner que le lait produit avec de la rBGH bénéficie lui aussi du « principe d’équivalence en substance » qui ne permet pas de distinction entre produit OGM et produits traditionnels. ( Equivalence en substance).

Monsanto, fort de cette directive, a poursuivi en justice plusieurs compagnies laitières qui refusaient le lait venant de producteurs utilisant la rBGH et qui apposaient le label « sans rBGH » sur leur bidon de lait. Malgré une forte demande des consommateurs pour des produits laitiers sans hormone transgénique, il est encore aujourd’hui très difficile de trouver des produits alimentaires assurant l’absence de rBGH en dehors des produits issus de l’agriculture biologique.





[1D’apres Michael Hansen, du Consumer Policy Institute, Le monde selon Monsanto, coedition La decouverte/Arte Ed., 2008

[2Federal Register, vol. 59, n° 28, 10 février 1994, p. 6279