a. L’affaire Akre et Wilson : Monsanto fait pression sur Fox News pour obtenir la censure d’un reportage sur le Posilac.

L’histoire du couple de journalistes Jane Akre et Steve Wilson est devenue l’un des symboles de la censure de la presse outre-Atlantique. Le couple de reporters est une figure du journalisme d’investigation. Ils ont l’un ou l’autre obtenus plusieurs prix prestigieux comme trois Emmy Award et une récompense du National Press Club.

L’histoire commence lorsqu’ils sont tous deux embauchés, le 18 novembre 1996, par Channel 13, qui appartient au groupe WTVT (New World communication of Tampa), pour travailler sur un magazine d’investigation annoncé comme la nouvelle émission choc de la chaîne. Les deux reporteurs ont alors carte blanche sur le sujet de leur émission et décident de monter leur premier reportage sur la rBGH. Jane Akre en charge de l’enquête journalistique débute donc son investigation en rencontrant les différents acteurs pro et anti rBGH, mais ne parvient pas a entrer en contact avec les responsables de la FDA.
Entre-temps, détail important, le groupe New World Communication of Tampa, et donc Channel 13, a été racheté par Fox News, qui appartient à Rupert Murdoch…

Une fois le reportage achevé, le directeur des programmes approuve le contenu et décide de la diffusion pour le 24 février 1997 en prime time, cependant deux jours avant la diffusion du reportage, le directeur des programmes convoquent ses deux journalistes pour leur faire part d’une nouvelle inquiétante. En effet un cabinet d’avocat représentant Monsanto est entré en contact avec Fox News pour lui faire part de « sérieux doutes quant à l’objectivité de vos reporters » alors même que Monsanto n’a pas à ce moment pu avoir accès à la vidéo.
Un premier avertissement, en forme de menace, puisque l’avocat conclut cette lettre sur une référence à l’affaire Food Lion qui coûta 5,5 millions de dollars à ABC News à la suite d’un reportage sur les conditions d’hygiène déplorable des abattoirs Food Lion. Dans un second courrier la pression et les menaces se font plus précises sur le groupe Fox News afin de rappeler sa chaîne locale à l’ordre car, au delà d’un procès, la seconde arme mise sur la table est le retrait des annonces publicitaires de Monsanto, ce qui représenterait une perte financière conséquente pour le groupe media.
Le nouveau directeur de programme, Dave Boyle, qui vient d’être nommé après le rachat de Fox News décide de suspendre la diffusion du reportage sur la rBGH. Il demande à ses reporters de réécrire le script du reportage plus de quatre-vingt fois, pour chercher à les décourager. Il essaiera ensuite de les faire plier sous la menace d’un « licenciement pour insubordination » s’ils ne réécrivent pas leur reportage en intégrant les « recommandations » du siège de Fox News. Toujours fermes et déterminés, les journalistes refusent le compromis, ce qui pousse Dave Boyle dans ses derniers retranchements et le conduit offrir au couple un placard doré de consultants et l’équivalent d’an de salaire en prime, soit 200 000 dollars, en échange de leur silence sur le contenu du reportage et les pressions de Fox News. Finalement Fox News licenciera les deux journalistes en décembre 1997.
J. Akre et S. Wilson deviennent officiellement des lanceurs d’alerte en poursuivant Fox News et en dénonçant les pressions dont ils ont été victimes afin de cacher la vérité. Malgré son importance capitale pour la liberté de la presse, ce procès ne sera que très peu suivi et médiatisé de la part des autres journaux…

J.Akre gagne en première instance son procès contre Fox News mais le groupe médiatique décide de faire appel. Le procès traîne et les frais de justice contraignent le couple à vendre sa maison afin de poursuivre le procès. Le 14 février 2003, la cour d’appel de Floride renverse la décision en donnant raison à Fox News, les juges estimant qu’aucune loi n’interdit à une chaîne de télévision ou à un groupe de presse de mentir Certes, les règles fixées par la Federal Communications Commission le proscrivent, mais elles n’ont pas force de loi. Le couple est condamné à rembourser les frais de justice de Fox News, soit 2 millions de dollars. Finalement, la Cour Supreme de Floride, reviendra sur la décision et déboutera Fox news de sa demande de remboursement de ses frais de justice.
Laissons l’analyse finale à la journaliste Jane Akre : « en fait, la Cour a suivi les arguments des avocats du groupe, qui n’ont eu aucune gêne à clamer qu’aucune loi n’interdit de déformer une information… Nous avons fait appel, et finalement la cour suprême de Floride a débouté Fox News. Mais, bon, avec ce qui nous est arrivé, on comprend que le journalisme d’investigation soit mort dans ce pays, et qu’aucun journaliste n’essaie de se mettre sur le chemin de Monsanto ... » [1]

b. Pressions et Tentative de corruption sur des scientifiques au Canada pour faire approuver la mise sur le marché du Posilac.

L’affaire commence en 1985 quand Monsanto dépose une demande d‘homologation de la rBGH auprès de Health Canada (« Santé Canada »), l’homologue de la FDA. Cependant, Monsanto trouvera plus de résistance au Canada qu’elle n’en trouva au Etats-Unis. En effet, trois scientifiques, Shiv Chopra, Gérard Lambert et Margaret Haydon, du Bureau des médicaments vétérinaires (BVD) décident d’endosser le rôle de lanceurs d’alerte pour prévenir des irrégularités autour de l’autorisation imminente de la rBGH au Canada. En juin 1998, ils sont convoqués devant une commission d’enquête sénatoriale afin de témoigner des pressions dont ils ont été la cible pour taire la vérité sur la rBGH. Ainsi Shiv Chopra témoigne que « La Division ne cesse de dire que maintenant le client — et c’est écrit — c’est l’industrie et que nous devons servir le client, explique Shiv Chopra. Le conflit qui nous préoccupait au BVD, particulièrement dans la Division de la sécurité humaine, venait du fait que nous subissions des pressions et de la coercition pour autoriser des produits vétérinaires d’une sécurité douteuse, comme la rBST. […] » Toujours dans le cadre de cette enquête sénatoriale, fut entendue Margaret Haydon, à qui avait été confié l’examen de la demande d’autorisation de la rBGH de 1985 à 1994 mais qui a été progressivement dessaisie de l’affaire. Son témoignage est très inquiétant lorsqu’elle témoigne de fait d’espionnage : « Mes documents ont été volés dans mon bureau, pourtant fermé à clé, en mai 1994, raconte-t-elle. […] La plupart du travail que j’avais réalisé depuis dix ans sur la rBST avait disparu. J’ai décidé de faire un rapport et de l’envoyer à mon supérieur. Quand je suis rentrée, après le week-end, certains documents avaient réapparu. […]” Lorsque la commission lui demande si elle a été approchée par Monsanto, elle a ces mots : “ Je ne sais pas si le mot “lobbying” est le bon, mais j’ai assisté à une réunion, en 1989 ou 1990, où il y avait des représentants de Monsanto, mon superviseur, le docteur Drennan, et mon directeur, le docteur Messier. Lors de cette réunion, la société a proposé un à deux millions de dollars. Je ne sais pas ce qui s’est passé après, mais mon directeur m’avait dit qu’il allait en référer à ses supérieurs… » Le Dr Drennan a confirmé l’information par la suite, en indiquant qu’un rapport avait été fait mais qu’il n’y avait pas eu de suite…
Les manières douteuses de Monsanto ont finalement conduit au rejet de la mise sur le marché canadien de l’hormone transgénique.





[1Depuis, Jane Akre et Steve Wilson ont accumulé les récompenses prestigieuses : prix de la déontologie de la Society for Professional Journalism ; prix Joe A.Callaway du courage civique ; prix de l’héroïsme en journalisme remis par l’Alliance pour la démocratie et Goldman Environmental Prize pour l’Amérique du Nord. Ainsi va l’Amérique…