L’investiture de la nouvelle Commission européenne, mardi 9 février, se traduira-t-elle par une relance rapide du processus d’autorisation de deux OGM controversés ? Des sources anonymes citées par l’AFP croient savoir que le président de l’exécutif européen, José Manuel Barroso, souhaite pousser les dossiers de la culture de la pomme de terre Amflora et du maïs MON810 - à laquelle la France est opposée.

Une erreur non rectifiée sur les anomalies de croissance Les travaux du Criigen critiqués par le Haut Conseil des biotechnologies (HCB) reprennent de précédents travaux, publiés en
2007 dans Archives of Environmental Contamination and Toxicology et également menés par des chercheurs affiliés à l’association. Or une part des conclusions de ces travaux - qui portaient sur les effets supposés du maïs MON863 - ont été réfutées peu après leur publication.

De quoi s’agissait-il ? Du constat selon lequel les animaux nourris avec l’OGM souffriraient d’anomalies de croissance. Peu après la publication, une expertise menée par le statisticien Hervé Monod, à la demande de la défunte Commission du génie biomoléculaire (CGB), avait réfuté cette conclusion, "cette fois, non en raison de simples questions d’interprétation mais parce que ces travaux ne tenaient pas compte de la variabilité interindividuelle des animaux testés", explique M. Monod. De fait, les derniers travaux du Criigen abandonnent totalement l’idée que l’OGM puisse avoir une influence sur la croissance des rongeurs. L’association reconnaît ainsi de facto, mais sans le dire, une erreur méthodologique.

"M. Barroso n’a aucune intention d’imposer la culture des OGM", a affirmé, lundi, sa porte-parole. Une telle initiative ne manquerait pas de raviver le débat scientifique sur l’innocuité des plantes transgéniques. En France, il vient de rebondir avec la publication, en janvier, d’un avis du Haut Conseil des biotechnologies (HCB) qui renvoie dos à dos opposants et promoteurs des OGM. Cet avis critique sévèrement les travaux menés par une ONG, le Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique (Criigen), sur trois maïs génétiquement modifiés commercialisés par Monsanto (MON810,
MON863 et NK603). Mais il ne donne pas pour autant quitus à Monsanto.
Publiée en décembre dans la revue International Journal of Biological Sciences, l’étude du Criigen concluait à une toxicité potentielle de ces trois OGM sur le rat. Conclusion tirée de la réanalyse des données expérimentales de Monsanto. Là où la firme agrochimique ne distinguait aucun effet décelable, les chercheurs associés au Criigen pensent avoir détecté des effets biologiques délétères.

"Les auteurs ont repris les données de l’étude de toxicité menée par Monsanto, consistant à comparer un grand nombre de paramètres biologiques entre des rats soumis à différents régimes alimentaires", explique Marc Lavielle, statisticien à l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria) et membre du HCB.
D’un côté, des animaux sont nourris sans OGM, de l’autre, deux groupes en reçoivent 11 % et 33 % des quantités de maïs qu’ils absorbent. Les paramètres biologiques sont relevés au bout de cinq et de quatorze semaines d’expérience.

"Le problème n’est pas dans l’analyse statistique des données elles- mêmes mais dans l’interprétation des résultats. Lorsqu’on relève un grand nombre de paramètres biologiques - environ 500 dans le cas du MON810 -, il est normal que des différences apparaissent, toute la question étant de savoir si ces différences sont dues au hasard ou à l’OGM, poursuit M. Lavielle. Lorsque ces différences excèdent un certain seuil, on parle de différences "statistiquement significatives", sans pour autant statuer sur le fait qu’elles sont, ou non, "biologiquement significatives"."

Or, ajoute le mathématicien, "sur environ 500 paramètres mesurés, on s’attend qu’une vingtaine se révèlent des "faux positifs", c’est-à- dire que ces mesures présentent des différences "statistiquement significatives", mais sans lien avec l’OGM". Pour le MON810, précise M. Lavielle, "les auteurs trouvent 29 paramètres présentant de telles différences "statistiquement significatives"".

Pour effacer ces effets, il est d’usage d’appliquer des corrections aux données brutes. "Lorsque ces ajustements techniques sont réalisés, les auteurs eux-mêmes reconnaissent que plus aucune différence dans les paramètres biologiques mesurés n’est significative pour ce qui est du MON810 et du MON863 et que seules deux ou trois le sont pour le NK603", explique Hervé Monod, statisticien à l’Institut national de recherche agronomique (INRA), qui n’a pas participé au travail du HCB mais se dit "sur la même ligne que l’avis rendu". "Du coup, une grande part de l’étude du Criigen est consacrée à l’analyse de différences qui ne sont plus significatives après ajustement", précise-t-il.

En outre, le HCB estime que les effets pointés par le Criigen, en plus d’être non significatifs une fois ajustés, ne présentent pas un tableau clinique cohérent avec une toxicité potentielle.

Ce n’est pas tout. Outrepassant quelque peu le cadre de sa saisine, le HCB ajoute à la fin de son avis un nota bene assassin. Le conseil attire en effet l’attention sur l’intégrité du Criigen dans sa communication. Le HCB relève ainsi qu’une étude autrichienne de novembre 2008 "prétendant démontrer des effets négatifs du MON810 sur la reproduction" des souris était toujours affichée, début janvier, sur le site Internet public du Criigen. Or "ces résultats ont été reconnus comme erronés par les auteurs de l’étude eux-mêmes", précise le HCB. L’étude en question concernait, en réalité, un hybride contenant les mutations MON810 et NK603, mais ses principales conclusions ont bel et bien été invalidées au printemps 2009 (Le Monde du 4 avril 2009).

De son côté, le biologiste Gilles-Eric Séralini (université de Caen), président du comité scientifique du Criigen et coauteur de l’étude, réfute en bloc l’avis du HCB et fait valoir que les travaux du Criigen "ont été analysés et publiés par un des meilleurs journaux de sciences biologiques, ce qui n’est pas le cas de l’avis du HCB". "Nous sommes le seul groupe (scientifique) au monde à mener une contre-expertise indépendante sur les données de Monsanto, données que le HCB lui-même est venu nous réclamer !", tempête l’universitaire, qui se dit "sidéré" par l’avis rendu. "Il est incroyable que ces gens, qui ne font pas leur travail, viennent ensuite nous pointer du doigt lorsque nous le faisons à leur place !"

L’avis rendu par le HCB précise en outre que les études de Monsanto ne permettent pas non plus de conclure à l’innocuité des OGM en question.

En raison, là encore, "de la faiblesse des analyses statistiques". "Si le HCB reconnaît qu’il n’est pas possible de statuer sur l’innocuité de ces OGM, que ne demande-t-il à Monsanto de nouvelles études, ce que nous faisons depuis de nombreuses années ?, ajoute M. Séralini. Car pendant toutes ces années, les instances officielles ont régulièrement déclaré qu’il n’y avait aucun risque et ont généralement toujours donné des avis favorables à ces OGM." Bien qu’estimant impossible de conclure à sa toxicité ou à son innocuité, le HCB avait rendu, fin décembre, un avis négatif sur le MON810.

Critiqué sur la rigueur de ses analyses et son âpreté à communiquer, le Criigen n’en joue pas moins "un utile rôle d’aiguillon" vis-à-vis de diverses autorités, note un spécialiste. Un rôle d’autant plus important que l’Agence européenne de sécurité sanitaire des aliments
(EFSA) est au centre d’une polémique après l’embauche de l’ancienne directrice de son département OGM par l’agrochimiste Syngenta.

Source : Stéphane Foucart, Lemonde.fr, 9 février 2010