a. Une réglementation politique taillée sur mesure.

Les années 80 sont marquées par l’arrivée au pouvoir des « néolibéraux » qui sont favorables à la dérégulation du marché et contre l’intervention de l’Etat dans les affaires économiques.

Dès 1986, Monsanto s’assure du soutien de l’administration républicaine de Reagan, un soutien qui se poursuivra sous l’administration de Georges Bush après 1989. A cette époque, les biotechnologies sont considérées comme la nouvelle révolution industrielle, capable de sortir l’économie américaine de la crise. Partout ,les « Start Up » de la biotechnologie fleurissent et il n’est pas question pour les dirigeants politiques de ralentir l’économie par une législation contraignante.
Le 29 mai 1992, la Food and Drug Administration publie dans le Federal Register sa réglementation concernant les « aliments dérivés des nouvelles variétés de plantes » . Les produits alimentaires issus de la biotechnologie seront réglementés au même titre que les aliments issus de la sélection naturelle des espèces :« Les aliments […] dérivés de variétés végétales développées par les nouvelles méthodes de modification génétique sont réglementés dans le même cadre et selon la même approche que ceux issus du croisement traditionnel des plantes. » [1]

Cette assimilation des OGM avec les produits issus de l’agriculture traditionnelle était l’une des revendications principales de Monsanto. Cela aura de nombreuses répercussions sur le système de distribution commerciale, notamment l’absence et l’interdiction d’étiquetage spécifique pour les produits alimentaires contenant des OGM.De fait cela ote la liberté de choix des consommateurs qui n’ont d’autre alternative que de se tourner vers les produits labelisés ’"agriculture biologique" pour garantir une alimentation sans OGM.

b. Le principe d’équivalence en substance des OGM.

Le principe d’équivalence en substance figure dans un paragraphe de la réglementation de la FDA qui est au cœur de la polémique entourant les OGM, on peut y lire : « Dans la plupart des cas, les composants des aliments provenant d’une plante génétiquement modifiée seront les mêmes que ou sensiblement identiques similaires en substance à [will be the same as or substantially similar to] ceux que l’on trouve communément dans les aliments, comme les protéines, les graisses, les huiles et les hydrates de carbone. »

Ce principe d’équivalence en substance ne repose sur aucune preuve scientifique ; il ne s’agit que d’un concept abstrait façonné par les autorités politiques afin d’intégrer les OGM dans la chaine alimentaire sans test de toxicité, tests qui sont normalement nécessaires à toute autorisation de mise sur le marché de nouveaux produits alimentaires.
Ce concept a des répercussions très importantes puisqu’il permet de contourner l’amendement du Food Drug and Cosmetic Act, voté en 1958 par le Congrès. Intitulé « Food Additive Act » , il impose des test de toxicologie aux additifs alimentaires. Sont exclues de la catégorie des « additifs alimentaires », et donc non soumises aux tests toxicologiques, les substances dites « Generally Recognized as Safe » (GRAS,« généralement reconnues comme sûres »), soient parce qu’elles étaient « utilisées dans les aliments avant le 1er janvier 1958 », soit parce que des « procédures scientifiques » ont prouvé qu’elles ne posaient effectivement aucun problème sanitaire. Cela inclut des additifs comme le sel, le poivre ou le sucre et aujourd’hui l’addition de gènes supplémentaires à une plante.
Ce concept a fait l’objet d’intenses débats au sein de la communauté scientifique.

c. La décision de mise sur le marché des OGM contestée par les scientifiques de la Food and Drug Agency.

Il convient de rappeler que l’adoption de la de la réglementation sur les OGM, qui autorisait une mise sur le marché sans études préalable de toxicité, a donné lieu à une série de débats au sein même de la communauté des experts de la FDA. Une série de documents internes de la FDA, déclassifiés à l’issue d’un procès en 1998, impliquent que de nombreux experts de la FDA s’inquiétaient de l’absence de preuves scientifiques justifiant l’adoption du principe de l’équivalence de substance ou pire encore, de l’absence de preuve de non toxicité des OGM. 

Ainsi le 1er Novembre 1991, James Maryanski, le coordinateur de la FDA pour les biotechnologies en charge d’établir la réglementation, reçoit un mémorandum rédigé par la division de la chimie et de la technologie alimentaire. Cette note souligne les « effets indésirables » que pourrait hypothétiquement engendrer la technique de manipulation génétique comme un « niveau anormalement élevé de substances toxiques connues [...], l’apparition de substances toxiques préalablement non identifiées, mais aussi une capacité accrue d’accumuler des substances provenant de l’environnement (comme les pesticides ou les métaux lourds), ou bien encore une altération non souhaitable des niveaux de nutriments ». Ce rapport se conclue sur le fait qu’il n’est pas possible de répondre à ces questions essentielles sans un recours à des test de toxicologie sur tous les produits, pris individuellement, ce qui bien entendu signifierait le report de la mise sur le marché des OGM si une telle mesure de sécurité était prise.

Dans une autre note déclassée et rédigée par le Dr G. Guest, le directeur du centre la médecine vétérinaire, on peut lire « qu’il serait scientifiquement justifié d’exiger que ces produits [les OGM] soient soumis à une évaluation avant leur mise sur le marche […] La FDA sera confrontée à des nouveaux constituants biologiques qui peuvent être préoccupants d’un point de vue toxicologique et environnemental ».

Enfin, très instructifs également les commentaires du Dr. L. Kahl, en janvier 1992, qui s’inquiète que : « Le document [la proposition de règlement] essaie de forcer une conclusion définitive selon laquelle il n’y a pas de différence entre les aliments modifiés par manipulation génétique et ceux modifiés par les pratiques traditionnelles du croisement », elle ajoute plus loin que « les processus de manipulation génétique et de croisement traditionnel sont différents et, selon les experts de l’agence, ils conduisent à des risques différents. »

Les notes alarmantes de la part des différents comités scientifiques de la FDA se multiplieront ainsi jusqu’à l’élaboration de la réglementation finale. En mai 1992 James Maryanski, le coordinateur de la FDA, rend donc sa proposition de réglementation qui autorise la mise sur le marché des OGM sans plus d’études indépendantes quand à leur toxicité, et ce contre l’avis de plusieurs scientifiques de la FDA. Cette réglementation, qui consacre officiellement le principe d’équivalence de substance, laisse aux soins des firmes privées, la possibilité de réaliser les tests de toxicologie et de les soumettre à la FDA de façon volontaire et non obligatoire. Cette marge de manœuvre laissé aux entreprises n’est pas le fait d’une simple indulgence de la part des autorités mais bien le fruit d’une politique d’influence active de la part de ces entreprises qui ont infiltré les instances décisionnelles jusqu’au plus haut niveau.





[1Food and Drug Administration, « Statement of policy : foods derived from new plant varieties », Federal Register, vol. 57, n° 104, 29 mai 1992