Analyse reprise dans l’ouvrage de Marie Monique Robin, Le monde selon Monsanto, coédition La découverte/Arte Ed. 2008.

« Le modèle transgénique est le dernier avatar de l’agriculture industrielle. C’est le dernier maillon d’un modèle de production intensif, fondé sur un “paquet technologique” qui comprend non seulement les semences et l’herbicide, mais aussi toute une série d’intrants, comme les engrais ou les insecticides, sans lesquels il n’y a pas de rendement, et qui sont vendus par des multinationales du Nord aux pays du Sud.

C’est pourquoi on peut parler de seconde révolution agricole : la première, celle des années d’après-guerre, avait été pilotée par les organismes agronomiques nationaux, comme l’INTA (Instituto nacional de tecnología agropecuaria) en Argentine, et visait à développer les capacités agroalimentaires des pays en s’appuyant sur la classe paysanne ; la seconde est impulsée par des intérêts supranationaux et conduit à un modèle agricole tourné vers l’exportation, où il n’y a plus d’acteurs dans les champs. Ce modèle vise uniquement à approvisionner en fourrage à bas prix les grands élevages industriels des pays du Nord, et entraîne le développement de monocultures qui menace la sécurité alimentaire des pays du Sud. En dix ans, l’économie argentine est revenue un siècle en arrière, en devenant dépendante de l’exportation de matières premières dont le cours est fixé sur des marchés mondiaux où le pouvoir des multinationales est déterminant. Le jour où le cours du soja s’effondrera, on peut craindre le pire…

Un autre point très important de l’agriculture transgénique, est que cela conduit à la bio-uniformité, laquelle constitue un autre danger pour la sécurité alimentaire. Le soja OGM a pratiquement fait disparaître le soja conventionnel ou biologique, qui est contaminé et, de ce fait, connaît une baisse drastique des prix. Mais il y a plus grave : si la moitié d’un pays est cultivé avec une seule variété, cela crée une véritable autoroute pour des fléaux naturels qui peuvent anéantir toute la production d’un pays. Actuellement, une menace pèse sur l’oléagineuse, pour laquelle on n’a pas de réponse phytosanitaire, c’est la rouille du soja : elle a commencé au Brésil, a gagné le Paraguay, puis l’Argentine. Le fait de ne pas avoir de diversité d’espèces végétales empêche de résister à l’attaque des maladies. N’oublions pas ce qui s’est passé au XIXe siècle en Irlande, avec les pommes de terre : la grande famine qui a décimé, de 1845 à 1849, une grande partie de la population et contraint à l’exil des dizaines de milliers de personnes, fut due notamment à l’absence de biodiversité, laquelle a favorisé le développement du mildiou, qu’aucune barrière naturelle n’a pu arrêter.

Je pense qu’à terme Monsanto cherche à contrôler les aliments produits dans le monde. Pour cela, il lui faut mettre la main sur les semences là où elles sont utilisées, c’est-à-dire chez les agriculteurs. D’abord, elle s’approprie les semences, puis la transformation des grains et leurs produits dérivés, ensuite les supermarchés et, enfin, elle contrôle toute la chaîne alimentaire. Les semences sont le premier maillon de la chaîne alimentaire : celui qui contrôle les semences contrôle l’offre en aliments, et donc les hommes… »