En moins d’un an, des groupements d’entreprises de biotechnologies agricoles ont mis au point deux bandes dessinées et dessins animés pour vendre leurs produits aux enfants américains et indiens. Des méthodes qui relèvent d’une confusion volontaire entre éducation aux sciences et promotion d’une science-fiction de laborantins.

 

« En travaillant sur les puzzles contenus dans ce livre, vous apprendrez tout sur la biotechnologie et ses merveilleuses solutions pour aider les gens à vivre une vie meilleure dans un monde plus sain. » C’est sur cet avant propos quelque peu sirupeux que s’ouvre le « livret d’activité sur les biotechnologies », un cahier d’exercices pour enfant diffusé aux Etats-Unis depuis la fin du mois de mars 2012. Cette bande dessinée interactive a été réalisée par le Conseil pour l’Information sur les Biotechnologies , une organisation financée par l’ensemble des industriels du secteur (DOW, Monsanto, Bayer, Syngenta...). Le Conseil se donne pour objectif de diffuser des « informations sur la sécurité des biotechnologies agricoles et leurs bénéfices pour un développement durable », faisant également la promotion des agrocarburants. Dans la bande dessinée récemment diffusée, le jeune lecteur est invité à découvrir le monde merveilleux des OGM qui lui permettront de « faire pousser plus de nourriture » sur moins de terre, de « cultiver des aliments plus sains » et d’« aider l’environnement ». Une rhétorique marketing usitée qui constitue le cœur de la stratégie de communication des entreprises de biotechnologie depuis plus de vingt ans. Cependant, en visant les jeunes enfants à l’école, ces entreprises jouent une nouvelle carte tendant à confondre éducation scientifique et science fiction.

« planter des bananiers pour se procurer des médicaments »

Pour en venir au contenu, outre les poncifs évoqués précédemment, le livret présente trois cas d’ « aliments plus sains » : le riz doré modifié pour contenir plus de vitamine A, la pomme de terre donnant des chips moins grasses pour un «  snack plus sain » et la banane-vaccin. Aucun de ces produits n’est à ce jour commercialisé, le riz doré et la pomme de terre GM ayant déjà été enterrés par les autorités sanitaires et des consommateurs dubitatifs. Mais l’assertion la plus aberrante du livret d’exercice est sans doute la suivante : « dans le futur les bananes pourront pousser avec des médicaments dedans. Cela veut dire que les gens pourront planter leurs propres bananiers pour se procurer les médicaments essentiels pour se protéger contre les maladies. » Le Bio-pharming visant à incorporer des molécules médicamenteuses, comme des antibiotiques ou des vaccins, dans les aliments reste un terrain de recherche embryonnaire de la biotechnologie et comporte un certain nombre de risques (dissémination, accoutumance...) qui n’ont pas encore reçu de réponses satisfaisantes. Alors d’ici à s’imaginer planter des "banane-vaccins contre l’hépatite B" ou du " tabac contre les maladies auto-immunes " dans son jardin, il y a là une affirmation qui relève de la pure fiction et désinforme les enfants.

En moins d’un an, c’est la seconde fois que les industriels de la biotechnologie tentent d’influencer l’opinion des enfants en utilisant la bande dessinée ou le dessin animé pour faire passer leurs messages. Fin 2011, l’International Service for the Acquisition of Agri-biotech Applications (ISAAA), une autre organisation sponsorisée par Monsanto et Bayer, lançaitson dessin animé à destination des enfants indiens. Au tour de deux personnages, un homme maïs et une femme coton (Mandy et Fanny), tous deux génétiquement modifiés, les enfants découvrent pourquoi ils sont « plus forts  » et offrent une « meilleure nourriture, plus saine et moins chère ». Mieux encore, les enfants apprennent que s’ « ils aiment les burgers, les nuggets, les hot-dog et le poulet tandoori, c’est parce qu’ils ont été nourris avec Mandy » (du maïs transgénique). Plus offensive dans le ton, Fanny s’en prend aux «  hypocrites » qui refusent les OGM alors qu’eux même « dépendent des pilules biotechnologiques pour se soigner », certainement une référence à l’insuline développée en laboratoire mais n’ayant aucun lien avec les plantes agricoles transgéniques. Visiblement, les enfants indiens n’ont pas le droit au même niveau de subtilité que leurs petits camarades américains ou peut-être est-ce seulement les lois sur la publicité dissimulée et mensongère qui varient entre les pays...

Les enfants, décideurs ou consommateurs de demain ?

Dans un article publié en 2003 sous le titre « La BD comme outil pour enseigner la biotechnologie à l’école primaire », Gladis Rota de la Redbio Foundation, un think-tank pro-biotech et Juan Izquierdo de la FAO développent une analyse des mécanismes de perception de l’enfant face à une approche mêlant apprentissage et jeux dans le cas des biotechnologies. Dès l’introduction de l’article, l’objectif de l’exercice est clairement fixé : « les enfants prendront les décisions de demain et choisiront les technologies du futur, ils sont un élément clé qui doit être traité en priorité dans tout programme d’éducation aux biotechnologies. » A l’image de l’aspect ludique du livret, les auteurs poursuivent leur analyse sur les moyens de persuasion de l’enfant : « la participation est une force puissante dans tous les moyens de communication, surtout lorsque qu’elle cible les enfants. » Selon eux, la bande dessinée est particulièrement adaptée : « l’utilisation de la science fiction, contextualisée et identifiée, renforce la compréhension et la construction des contenus scientifiques. […] Les enfants démontrent une parfaite compréhension du thème proposé et un discernement approprié pour séparer les réalités scientifiques de la science fiction. »

Seulement concernant les deux BD sur les biotechnologies diffusées, il est légitime de se demander si l’aspect science-fiction - outre l’épi au don d’élocution - est véritablement identifiable par de jeunes enfants ? Sans oublier le fait que ces outils pédagogiques sont destinés à une diffusion scolaire, donc sous l’autorité d’un enseignant, ce qui laisse peut de place au sens critique des enfants. Loin d’être anodines ou isolées, ces deux approches commerciales relèvent d’une stratégie marketing classique ciblant les plus jeunes. De nombreuses études démontrent que l’enfant possède un pouvoir de prescription important sur ses parents concernant les choix alimentaires et vestimentaires, deux des principaux débouchés de l’industrie biotech. Par ailleurs, à l’âge adulte les deux tiers des produits consommés dépendent d’habitudes prise dans l’enfance ; rassurer l’enfant sur les OGM s’est donc s’assurer un client adulte fidèle. Ces nouvelles pratiques marketing confondent à escient éducation des enfants et modelage des consommateurs dans une science-fiction de mauvais aloi aux antipodes d’une pédagogie critique. Pire, elles encouragent des pratiques alimentaires douteuses faisant fi de la santé des enfants. Mais heureusement, en France Superdupont est là pour veiller sur nos enfants car il ne faudra rien attendre de l’Agence Européenne de Sécurité des Aliments pour contrôler les OGM...

Source : Benjamin Sourice, journaliste, blog Mediapart, 22 mai 2012