La riposte a été prompte, dense et nourrie. Depuis sa publication dans Food and Chemical Toxicology, c’est un incroyable tire de barrage qui s’abat sur le Pr. Séralini et son étude de toxicologie concluant au risque d’action tumorigène, ainsi que de possibles troubles hépatiques et rénaux, associés à la consommation du maïs GM NK603 et de l’herbicide Roundup commercialisés par Monsanto.

Rapidement, une poignée de scientifiques, pompeusement présentés comme la « communauté scientifique internationale » (G. Pascal dansle Monde), sont montés aux créneaux pour dénoncer publiquement cette étude bien gênante pour l’industrie des biotechnologies. Une salve de critiques à laquelle s’attendait le Pr. Séralini : « c’est ce même lobby qui a permis l’autorisation de ces produits et qui est activé par les entreprises de biotechnologies, parce que la conséquence, ce serait qu’on les oblige à faire des études à long terme »(AFP).

Face à ces images de rats boursouflés de tumeurs se répandant comme une traînée de poudre, quelle stratégie pouvaient bien employer les entreprises de biotechnologie sinon celle d’envoyer quelques porte-flingues patentés pour temporiser ? Une stratégie rodée par la passé : en cas de controverse scientifique, les entreprises s’abritent derrière une première ligne d’ « experts » chargés de prendre d’assaut les médias. Le contre-feu est lancé dès le premier jour, sans recul scientifique ou possibilité d’analyser les données brutes. Non seulement, la majorité de ces scientifiques ne sont pas spécialistes en toxicologie mais beaucoup présentent également des conflits d’intérêts suffisamment lourds pour remettre en cause leur légitimité.

Les snipers de Monsanto

Le lendemain de la publication, l’ONG Corporate Europe Observatory, spécialisée dans la surveillance des lobbys, interceptait un mail d’un dirigeant de Monsanto qui orientait ses destinataires (masqués) vers le site Science Media Center (SMC), une organisation financée à 70% par le secteur privé (Monsanto, Bayer, Croplife, Novartis...). Le plan média est là sur le site de SMC, prêt à l’emploi, avec ses éléments de langage et un florilège de citations de sicaires anti-écologistes.

Parmi eux, Anthony Trewavas, professeur de biologie cellulaire à l’Université d’Édimbourg, repris par le Financial Times, qui ne voit qu’une « variation aléatoire sur une lignée de rongeur susceptible de développer des tumeurs quoi qu’il arrive ». Trewavas est un chercheur en biotechnologie agricole, plus rapide à flinguer ses pairs qu’à publier des études sérieuses, et il a une sainte horreur des anti-OGM, « ces mauvais esprits, anarchistes et destructeurs ». Il fut condamné par un tribunal de Londres en 2001 pour diffamation dans une affaire l’opposant à Greenpeace.

Pour Tom Sanders, directeur du département des sciences nutritionnelles au King’s College de Londres, dont les propos sur SCM sont repris par Reuters, « l’immortalité des rats n’était pas une option ». D’après le site Power Base Info, Tom Sanders est également un ardent promoteur de l’aspartame, un édulcorant industriel controversé et un temps commercialisé par Monsanto sous le nom de Nutrasweet. Par le passé, Trewavas et Sanders ont joué un rôle important dans les campagnes de dénigrement contre Ignacio Chapela et Arpad Pusztai, deux autres scientifiques ayant mené des travaux critiques sur les OGM ou le Roundup.

Les experts du pantouflage

En France aussi, une poignée d’experts se relaient dans les médias pour clamer leur stupeur face aux résultats alarmants concernant la toxicité du maïs GM NK603. Gérard Pascal, ancien toxicologue à l’INRA et ex-président du conseil scientifique de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) fut le premier à questionner les résultats avec ironie : « si les résultats se confirment, c’est le scoop du siècle. Et dans ce cas il faudrait interdire les OGM dans le monde entier. » Puis il poursuit en réclamant une commission d’enquête avant de remettre en cause la compétence de l’équipe de recherche, et ce malgré le fait que le Pr. Séralini publie régulièrement ses résultats dans des revues internationales à comité de relecture.

Désormais à la retraite, M. Pascal a su faire fructifier son expérience en devenant consultant pour des entreprises de l’agroalimentaire telles que Danone et Nestlé. Il a participé à la création du cabinet de communication et de lobbying Entropy Conseil, spécialisé dans les questions de « sécurité alimentaire » et « gestion de crise » appartenant au groupeProtéines, spécialiste en « communication de la santé ».

Pascal apparaît en 2010 comme membre du comité scientifique de l’International life sciences institute (ILSI), décrit par le Canard Enchaîné (26/09/2012) comme «  le plus puissant groupe de lobbying alimentaire avec 400 adhérents dont Monsanto, Unilever, Syngenta, Bayer, Nestlé... » L’ILSI est au cœur de plusieurs scandales de conflits d’intérêts et de portes tournantes concernant les autorités communautaires. Le dernier en date remonte à mai 2012 quand Diana Banati, présidente de l’Autorité européenne pour la sécurité des aliments (EFSA), l’autorité en charge de l’évaluation sanitaire des OGM, fut contrainte de démissionner en raison de ses liens avec l’ILSI. Elle a depuis officiellement rejoint l’ILSI en tant que Directrice exécutive pour l’Europe et ce en dépit des protestations de Bruxelles contre ce cas flagrant de « pantouflage » (passage du public vers le privé).

La Commission Européenne vient de confier une mission d’urgence à un panel de vingt scientifiques de l’EFSA afin de vérifier la validité de l’étude sur le maïs NK603 et le Roundup. Suite aux scandales à répétition, l’organisme sanitaire européen oblige ses experts à publier systématiquement des déclarations d’intérêts. Ce qui n’empêche pas au moinscinq membres du panel de présenter des liens étroits avec l’industrie, comme Patrick du Jardin, chercheur en biotechnologie sur les pommes de terre GM et ancien consultant chez Monsanto ou bien Gijs Kleter qui fût membre du International Food Biotechnology Committee de l’ILSI entre 2002 et 2007.

Les réac’ anti-écologie

Le cercle des scientifiques médiatiques est assez restreint et facilement identifiable au définitif. Ce sont plutôt les étiquettes dont ils usent, se réclamant tantôt d’une instution publique (INRA) tantôt d’un cabinet de consulting ou bien d’une association, qui leur permettent un positionnement optimal dans les médias. Par exemple, Gérard Pascal est également membre de l’Association française pour l’information scientifique (AFIS) qui se proclame gardienne de la « science rationaliste » contre les « entreprises charlatanesques ». l’AFIS est connue pour ses positions pro-OGM et son expertise en polémique musclée.

Le 26 septembre 2012, dans un débat contre Mme Lepage à l’antenne de France Inter, M. Houdebine, Président de l’AFIS, n’a pas hésité une seconde à faire preuve de son rationalisme éclairé en déclarant : «  le roundup est moins toxique que l’aspirine ou le sel de cuisine, et qui plus est biodégradable ». Des arguments qui valurent à Monsanto d’être condamnée pour publicité mensongère aux Etats-Unis en 1996 et en France, en 2007 où le tribunal a reconnu dans son jugement que « le glyphosate en constituant la substance chimique active [du roundup], auquel il est ajouté un surfactant, l’amine polyoxyéthilène, présente une écotoxicité manifeste et ne se dégrade pas rapidement dans la nature. »

En 2008, le médecin Marcel Kahn claquait la porte de l’AFIS avec fracas en dénonçant une culture rampante de conflits d’intérêts au sein de l’association. Selon lui, « l’association est devenue une sorte de lobby pro-OGM. J’ai demandé à Louis-Marie Houdebine et Marcel Kuntz [biologiste, directeur de recherche au CNRS et membre du comité de parrainage de l’AFIS] de déclarer leurs liens d’intérêts avec Monsanto et ses filiales. Cela a été refusé. », une information que relayait leMonde ce 22 septembre 2012. M. Houdebine est également fondateur de la start-upBioprotein Technologies SA, créé en 1998, et spécialisée dans la « production de protéines et de vaccins recombinants dans le lait de lapines transgéniques. »

Le biologiste et membre du Criigen Pierre-Henri Gouyon, du Muséum national d’histoire naturelle, dénonce lui aussi les prises de positions partisanes de l’AFIS « systématiquement favorable aux OGM et systématiquement opposée à l’écologie ». « Il suffit de se rendre sur le site Internet de l’Office américain des brevets pour se rendre compte que certains des membres de l’AFIS les plus engagés à défendre les OGM ont déposé des brevets avec des entreprises de biotechnologies », dénonce M. Gouyon.

Les pro-biotech inflitrés

Les détracteurs de M. Séralini se trouvent également en nombre au sein de l’Association Française de Biotechnologie Végétales (AFBV), qui en plus de M. Houdebine, compte parmi ses membres éminents M. Marc Fellous, Président de l’association et ancien directeur de la Commission du Génie Biomoléculaire (CGB) et M. Phillipes Joudrier, ancien Président du Comité d’experts spécialisés Biotechnologies de l’AFSSA, tous deux d’ardents défenseurs de leur cause.

On retrouve également parmi les parrains de l’association le généticien Axel Kahn, qui a présidé de 1988 à 1997 la CGB chargée d’évaluer les risques liés aux Plantes GM, avant de devenir en 1997, Directeur scientifique chez Rhone Poulenc, géant de l’agrochimie qui avait investi de longue date dans le secteur des Plantes GM. «  Ses liens avec Rhone Poulenc datent pourtant d’avant 1997, puisque son 1er brevet est déposé pour cette société en 1994 » raconte la journaliste Marie Monique Robin.

L’association et M. Fellous ont été condamnés en 2011 pour des propos diffamatoires concernant l’intégrité scientifique des études du professeur Séralini et l’accusant d’être un « chercheur-militant ». Lors de ce procès, l’avocat de M. Séralini n’a pas manqué de rappeler les liens étroits qui unissent bons nombres des « experts » de l’AFBV avec le secteur des biotechnologies, le juge lui-même s’étonnant du voile d’« indépendance » dont se couvre l’association. La réponse de Marc Fellous indigna une partie de l’auditoire venu supporter M. Séralini : « Dans notre jargon d’experts, le mot “indépendant” est un terme qui persiste à être utilisé. Mais on devrait plus parler de transparence que d’indépendance. Ce mot est dépassé car nous sommes tous concernés par le financement des industriels. »

Que ce soient les anciens membres de l’AFSSA, comme M. Pascal ou M. Jourdier, ou de la CGB comme M. Fellou ou M. Kahn, ces scientifiques ont tous participé aux travaux d’évaluation autorisant la mise sur le marché français de plusieurs OGM. Si les résultats de l’étude de toxicologie de M. Séralini devaient se confirmer, la question des responsabilités pourrait se poser dans ce dossier potentiellement aussi explosif que celui du Médiator, bien que les effets sur la santé humaine ne soient pas comparables.

Ouvrir le débat sur la transparence

Le problème de la transparence et des accointances professionnelles des chercheurs ne saurait pourtant expliquer à lui seul l’ensemble des prises de positions plus ou moins partisanes dans un débat qui dépasse le cadre purement scientifique. Le fait est que la question des biotechnologies relève aussi largement d’opinions politiques sur la place de la science et son contrôle dans nos sociétés.

Pour les ONG françaises, il s’agit avant tout de renforcer les garanties de transparence et d’autonomie de la recherche publique sur les risques sanitaires liés à notre alimentation et notre santé. France Nature Environnement rappelle que « les protocoles d’évaluation des OGM au niveau international ont été mis en place par l’industrie agroalimentaire pour son propre usage. Ce sont ces industries qui font elles-mêmes les études d’accréditation de leurs OGM. Cette situation est inacceptable ! » D’autres associations s’inquiètent des travaux que mène actuellement la Commission Européenne sur la simplification des règles d’évaluation des risques liés aux plantes GM. Pour Inf’OGM « ce projet propose que les analyses, notamment de toxicologie, ne soient plus obligatoires pour obtenir une autorisation de commercialisation. »

Dans un appel citoyen lancé par la société civile, les associations demandent «  la transparence sur les études d’évaluations des risques sur la santé et l’environnement ayant conduit à l’autorisation (culture ou importation) dans l’Union européenne des OGM et des pesticides » en particulier le Roundup et les plantes GM qui lui sont tolérantes. Elles exigent la communication « des données brutes sur un site public en ligne et sous une forme exploitable statistiquement, pour permettre à l’ensemble de la société civile de réaliser ou commanditer toute contre-expertise. » Des données fondamentales qui restent jusqu’à ce jour confidentielles et couvertes par le « secret industriel » au risque d’alimenter un peu plus la suspicion des citoyens envers leurs institutions et la place de la science dans nos sociétés.

Source : Club Médiapart, le 28 sept 2012