Les juges de la Cour suprême américaine ont balayé la plaidoirie de l’avocat d’un agriculteur de l’Indiana, venu défendre son droit à replanter des graines.

Le Président de la Cour suprême a donné le ton en début de séance : « Pourquoi quelqu’un dépenserait-il de l’argent pour essayer d’améliorer des semences si, aussitôt qu’il a vendu la première, quiconque peut en cultiver plus et multiplier les graines autant qu’il le veut ? ». Cette audition du 27 février n’est qu’une étape dans le procès en appel qui oppose Hugh Bowman à Monsanto. Le jugement sera rendu en juin. Mais, à la lecture du compte-rendu de séance, tout conforte déjà Monsanto dans son droit d’exiger des royalties sur l’ensemble des semences possédant ses caractères GM brevetés, même s’il s’agit de la deuxième ou troisième génération de graines.

L’accusé avait pourtant acheté légalement un mélange de graines à un revendeur. N’ayant signé d’engagement avec aucune compagnie semencière, Bowman s’estimait libre de disposer de ces graines, même si, parmi-elles, certaines étaient des OGM. L’agriculteur a donc conservé les graines de sa récolte pour les replanter par la suite. Bien mal lui en a pris. Le principe d’épuisement du droit de brevet, selon lequel le détenteur d’un brevet ne peut plus revendiquer le contrôle d’un article après l’avoir vendu, ne s’applique pas pour les nouvelles générations de graines. L’agriculteur est donc passible des 85 000 dollars de dommages et intérêts réclamés par Monsanto.

Dupont a engagé une centaine « d’enquêteurs agricoles » pour contrôler les cultures

Pour les organisations paysannes et écologistes opposées aux OGM, ce jugement est emblématique de la mainmise des géants de l’industrie semencière sur l’agriculture. Dans une étude publiée en février dernier, l’ONG américaine Center for food safety (CFS) détaille les pratiques agressives des multinationales de l’agrochimie pour garantir leur contrôle de l’utilisation des semences. Monsanto reste la multinationale la mieux connue pour son acharnement juridique contre les agriculteurs américains. Fin 2012, la firme aurait reçu 23,5 millions de dollars suite à des procès pour violation de ses brevets. Le montant réellement perçu par la compagnie serait de quatre à huit fois supérieur, en tenant compte de tous les contentieux réglés à l’amiable, selon le CFS. Monsanto enquêterait ainsi environ 500 agriculteurs chaque année pour s’assurer qu’ils respectent ses conditions d’utilisation des semences.

D’autres firmes suivent le même chemin. Dupont, la deuxième compagnie semencière après Monsanto, a engagé en 2012 près d’une centaine « d’enquêteurs agricoles » au Canada et aux États-Unis. « Souvent des anciens officiers de police », selon l’enquête. Leur rôle, prélever des échantillons de récolte dans les champs et les envoyer aux laboratoires de Dupont pour pister d’éventuelles graines brevetées. Syngenta, BASF et Pioneer multiplient aussi les plaintes contre des agriculteurs pour une utilisation illégale de leurs semences brevetées, OGM ou non. Les compagnies signent également des accords entre elles afin de mutualiser leurs traquent des fraudeurs. Ainsi, Syngenta peut agir au nom de Dow ou Monsanto pour protéger leurs brevets. Pour le CFS, l’oligarchie des semences organise ainsi sa domination. Monsanto, Dupont, Syngenta, Dow et Bayer représentent près de 60% du marché mondial des semences.

Des États légifèrent pour protéger les agriculteurs contre les industriels

Pour les firmes, l’enjeu est d’obliger les agriculteurs à acheter de nouvelles semences chaque année. Ils utilisent pour cela un arsenal réglementaire : avec l’achat de graines, l’agriculture s’engage systématiquement à respecter « l’accord d’utilisation de la technologie » de la compagnie semencière. Ces contrats interdisent certaines pratiques agricoles, comme conserver des semences ou les redistribuer. Dans ces règlements, les industriels balisent aussi les responsabilités. Une firme ne peut ainsi être tenue responsable des contaminations de semences OGM dans des champs voisins. En revanche, elle peut poursuivre un fermier qui cultive des semences brevetées involontairement, à cause de contamination ou de repousse de l’année précédente.

En achetant des graines, les agriculteurs s’engagent aussi à ouvrir leur porte aux enquêteurs. Ces derniers sont autorisés à puiser dans les registres de l’entreprise agricole, à prélever des cultures et à accéder aux informations fournies aux administrations publiques, comme la Farm Service Agency. Si la firme suspecte une fraude, l’agriculteur a quelques jours pour prouver sa bonne foi. Pour infléchir la puissance des industriels, certains États ont passé des lois de « protection des agriculteurs » qui obligent notamment leur accord préalable avant chaque prélèvement sur leurs cultures. Ces lois imposent également que les contentieux soient réglés dans la juridiction dans l’État de résidence du cultivateur, et nom dans l’État accueillant le siège social de la compagnie comme le réclament certaines firmes.

Pour le Center for Food Safety, les préjudices ne se limitent pas aux procès et aux pertes de droits des agriculteurs. L’ONG épingle aussi le renchérissement du coût des graines, la perte de biodiversité et l’entrave à la recherche. Des scientifiques ont écrit à l’Environmental Protection Agency (EPA) en s’alarmant des nombreuses restrictions sur la recherche liées aux brevets et aux contrats encadrant l’utilisation des semences.

Source : Magali Reinert© 2013 Novethic